L’ histoire de ce qui allait devenir la Jeep commence au tout début des années 30 aux Etats-Unis, sous l’impulsion de l’infanterie et de la cavalerie, l’US Army, consciente de sa sous motorisation, se met en quête d’un engin d’accompagnement et de transport de matériels légers pour ses troupes. Le but d’un tel véhicule est de remplacer à terme une partie des moyens de transport hippomobile dont dépend encore largement l’armée américaine et de remplacer avantageusement les side-cars dont la charge utile et les capacités de franchissement sont ridicules pour des engins voués à la reconnaissance. Son intérêt se porte alors dès 1932 sur la petite Austin venue de Grande-Bretagne construite chez American Austin. L’Austin était un petit pick-up de deux places sous-motorisé qui montrait vite ses limites sur les pistes et chemins accidentés. Aucun autre projet sérieux ne voit le jour car la politique isolationniste aidant, l’absence d’intérêts coloniaux et l’émergence toute nouvelle de leur puissance économique n’incitait pas aux dépenses superflues. Les choses n’accélèrent vraiment que devant le spectacle de la guerre en Europe en 1940, et devant l’importance fraîchement révélée des véhicules motorisés légers. C’est ainsi que dès juin 1940 est mis en place une commission au sein de l’US Army chargée d’étudier la question. L’intérêt se porte tout naturellement vers Bantam, puisque celui-ci fabrique désormais la fameuse petite Austin sous licence. Dès lors, la petite Austin devenue Bantam ainsi que les capacités productives de la firme de Butler sont dès lors prises en compte. De ces premières approches la commission déduit qu’aucun véhicule existant y compris celui de Bantam ne saurait convenir, même modifié et qu’en conséquence ce dernier devrait être développé de A à Z sur les bases d’un cahier des charges mis au point par cette même commission. Le secrétariat d’Etat à la guerre donne immédiatement son feu vert au lancement de cette étude portant sur un parc de 70 véhicules. Dès lors Bantam propose à l’US Army, début juillet, un contrat portant sur la construction et la livraison des 70 véhicules de présérie. Mais comme on pouvait le présager, le Quartermaster Corps refuse de passer ce contrat, bien déterminée à faire jouer la concurrence, et effrayé par la petite taille de l’usine Bantam. L’enjeu est bien trop important pour ne s’en remettre qu’à une seule et unique entreprise forte de seulement 15 personnes. C’est ainsi que le Quartermaster Corps lance le 27 juin 1940 un appel d’offre concernant son véhicule à quelques 135 entreprises automobiles du pays. Seul deux entreprises sur les 135 consultées répondent : Bantam et un dénommé Willys-Overland. LA GUERRE APPROCHE, IL FAUT FAIRE VITE ! La guerre en Europe se faisant menaçante, il fallait faire vite ! Chez Bantam, comme chez Willys l’heure est au branle bas le combat.
C’est finalement Bantam qui le premier, après un contre la montre effroyable que dépose les plans de son prototype le 22 juillet 1940 au camp de Holabird, centre d’essai de la banlieue de Baltimore. C’est ainsi qu’entre le 17 et le 22 juillet, soit en 5 jours, de jour comme de nuit, que Karl Probst, son ingénieur en chef, réalisa l’incroyable exploit de concevoir les plans de ce qui deviendra la Jeep ! Au dépouillement, il s’avère que Willys propose un prix plus intéressant mais manifeste aussitôt son impossibilité à tenir le délai imparti pour l’élaboration du prototype et surtout celui de 75 jours concernant les véhicules de présérie. C’est ainsi à Bantam que l’US Army achète les plans et concède l’exécution du contrat le 25 juillet. Le 21 septembre 1940, soit deux jours exactement avant l’expiration du délai prévu pour la livraison du prototype, la Bantam est fin prête à rouler. A partir du 27 septembre, le prototype est soumis à une sévère batterie de tests par l’US Army au camp d’Holarbird. Au programme : Marécages, tout-terrain intensif, chemins défoncés, passages de gués, boue, zones de sable, pentes et dévers accentués, épreuve d’endurance et course de vitesse soutenue le tout agrémenté par des poids en charge et en remorque variés et souvent imposants. Au sortir de l’enfer, l’impression générale était très satisfaisante, l’US Army reconnaissant tout bonnement que ce fut le meilleur véhicule jamais essayé. Bantam prend toutefois note des défauts constatés et la commande des 70 véhicules de présérie est confirmé au seul constructeur ayant respecté le calendrier de l’appel d’offre.
En ce qui concerne justement les autres constructeurs, et tout au moins Willys, le seul autre déclaré, ce dernier malgré l’absence de prototype, a dépêché à Holabird des observateurs lors des essais de la Bantam et ce avec la plus grande bienveillance du Quartermaster Corps. C’est à ce moment précis qu’un troisième acteur fit son entrée : Ford, le géant de l’automobile. En effet, sans même avoir pris la peine de répondre à l’appel d’offre initial émanant du Quartermaster Corps, Ford, intrigué par l’effervescence suscité autour de ce nouveau véhicule dépêcha à Holabird, à l’instar de Willys des ingénieurs. Ce dernier, alléché par des perspectives de production conséquentes, trouvait par la même un moyen idéal de nourrir son appareil de production qui se trouvait bêtement sous employé. Le Quartermaster Corps fortement intéressé par le potentiel industriel du géant américain pouvant favoriser la diminution des délais de livraison mais également du coût grâce à des économies d’échelle, autorisa même les ingénieurs de Ford en toute discrétion à consulter les plans de Bantam. C ‘est à ce moment précis que la pauvre petite firme de Pennsylvannie véritablement violée dans son œuvre, venait de perdre une bataille dont les enjeux économiques et stratégiques la dépassaient !
Malgré ces tristes pratiques déloyales, Bantam se mit aussitôt au travail afin de construire les 70 véhicules de présérie baptisés B60 ou Mark II dont 8 à quatre roues directrices et qui seront livrés le 17 décembre 1940. Avant même que cette commande ne soit achevé, le Quartermaster Corps pressé par la guerre qui frappe aux portes du nouveau continent et surtout persuadé d’avoir trouvé en la Bantam la base d’un fantastique véhicule, commande 1500 autres Bantams à des fins d’expérimentation. Mais conscient que les quantités futures de véhicules nécessaires ne pourront être assumé par un seul constructeur et poursuivant par là même sa politique de diversification, le Quartermaster Corps indique qu’il compte diviser la commande en trois part égales entre Bantam, Willys et Ford.
C’est finalement le 11 novembre 1940, soit plus d’un mois et demi après Bantam que Willys présente à Holabird son prototype mis au point par son ingénieur en chef, Delmas J. Ross. Inutile de signaler ce prototype ressemblait comme deux gouttes d’eau à sa génitrice, la Bantam. Les essais de la Willys-Quad (ainsi se nommait le prototype) débutèrent dès le 13 novembre. Le résultat était plus que mitigé : poids excessif et fragilité. C’est par contre le moteur fort de ses 60 ch qui sauvait l’ensemble en conférant à la Willys-Quad des performances en tout terrain stupéfiantes.
Ford décidé à entrer dans l’aventure à son tour, voyant les larges incitations que lui fait le Quartermaster Corps et l’aide qu’il lui procure (notamment grâce au dévoilement des plans de Bantam), construit également un prototype baptisé Pygmy. Elle aussi, par le plus grand des hasards ressemble à s’y méprendre à sa sœur aînée, la Bantam. Elle est présentée le 23 novembre 1940 à Holabird, soit deux mois jours pour jours après la Bantam. Quoi qu’il en soit, le véhicule est testé dans la foulée et rejoint donc la Willys-Quad sur les pistes accidentées du centre d’essai d’Holabird. Les résultats ne sont toutefois pas convaincants, révélant les mêmes faiblesses que la Willys agravées par un moteur de tracteur amorphe. Toutefois, le Quartermaster Corps enchanté que le géant Ford et toute l’infrastructure qu’il représente soit entré dans la course, se garde bien d’évincer quiconque de la compétition. De ces trois périodes d’essai, il s’avéra qu’objectivement, après son problème de poids réglé, le meilleur compromis restait la Willys-Quad dont le moteur Go Devil sauvait le bilan et contribuait pour une large part au succès. Fort de ces essais, chaque constructeur remis alors une offre de prix complète. Prenant donc en compte les deux paramètres majeurs, à savoir la qualité et le prix, le choix s’arrêta objectivement sur Willys. En effet, non content d’avoir présenté le véhicule le plus performant, Willys avança en outre l’offre tarifaire la plus alléchante. En conséquence, une première commande de 16000 exemplaires de série (MB) est passée à Willys le 31 juillet 1941. Le 4 août 1941 la commande est portée à 18600 exemplaires. Pendant ce temps, avant de lancer les 18600 exemplaires de série, les ingénieurs de Willys font table commune avec ceux de l’US Army autour de la Willys MA (pré série) où les ingénieurs militaires dressent l’inventaire des pièces et équipements à standardiser avec les véhicules existant de l’armée ( Filtre à air, Pelle et hache, éclairage de combat et dynamo 6 volts 40A) et des ultimes modifications à entreprendre. Le nouveau véhicule ainsi modifié prend l’appellation de MB (Military version B). Sa production ne débute que le 18 novembre 1941 à cause de divers mouvements grévistes. La cadence journalière est planifiée à 400 véhicules par jour et la fin de production est prévue pour le début du mois de janvier 1942.
Ford, quant à lui, commence à reprendre des couleurs voyant que les arguments précédemment développés par le Quarter Master Corps concernant le risque de ne dépendre que d’un seul fournisseur commencent à fairte mouche auprès du département d’Etat à la guerre. Déjà, certains envisagent donc le renfort de Ford GP en complément des commandes de Willys MB afin d’être en mesure de répondre à une demande qui risque rapidement de devenir mondiale aux vues des perspectives de guerre généralisée qui se dessinent. Devant cette inflexion dangereuse du destin, Willys effrayé que son sort ne connaissant un triste amalgame avec celui de Bantam décide de précéder une éminente décision gouvernementale.
Essayant de limiter les dégâts, c’est donc Willys lui même qui, le 14 octobre 1941, propose d’associer Ford à l’effort de production par le biais d’une cession gratuite de licence concernant la Willys MB à Ford seulement applicable aux commandes gouvernementales à la condition évidente que la part de commande de Willys soit préservée. N’en espérant pas tant, le Quartermaster Corps saisit l’occasion avec l’accord du département d’Etat à la guerre pour commander à Ford dans la foulée 15000 véhicules modèle MB. A l’annonce de cet accord, on imagine aisément l’indignation et la fureur de Bantam à qui l’on assène le coup de poignard suprême. Mais ses protestations aussi fortes et virulentes soit-elles se perdent dans les implacables arcanes économiques et géo-politiques et ce pour deux raisons majeures : La première tient à la sournoiserie des idées reçues et des préjugés. En effet, contrairement à l’objective réalité, peu de personnes croient en la capacité de Bantam à mettre sur pied un véritable appareil de production en série. La deuxième enfin, certainement la plus implacable vient du Japon, qui engage la guerre contre les Etats-Unis un certain 7 décembre 1941 à Pearl Harbor. Dès cet instant, tout ce qui était important devient primordial et relègue tout le reste, y compris bien sur les protestions de Bantam, à la subtilité et l’anecdote. La Jeep Willys MB sera finalement produite à 359874 exemplaires de novembre 1941 à septembre 1945.
(Informations tirées du livre « JEEP Sur les traces de la légende » de D. Dalet et C. Le Bitoux chez ETAI).